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Page:Lemonnier - Adam et Ève, 1899.pdf/151

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de ses lèvres et ensuite elle se retirait, comme étonnée de ce qu’elle allait dire ; et c’était là sa beauté, elle demeurait étonnée avec un léger tremblement devant la vie. Ève avait la joie émerveillée de toujours s’apercevoir elle-même une autre petite Ève à côté d’un nouvel Adam. Elle me dédiait l’offrande journalière de ses petites mamelles et elle ne croyait jamais m’avoir rien donné. Cependant sa spontanéité était admirable. Je découvrais en elle des forces originelles et qui n’étaient que repliées. Elle avait des silences où elle s’écoutait, où je croyais sentir qu’elle nous écoutait vivre ensemble d’une même vie à travers la sienne. J’étais aussi près d’elle qu’elle l’était elle-même.

Je m’aperçus qu’elle savait avant moi les choses qu’à peine je commençais à savoir. Elle était déjà la prudence, l’épargne, la ressource, l’ordre, la vaillance quand je n’avais mis encore ni un ais au toit ni un clou dans l’ais. Elle était la petite famille qui vient aux gestes de la femme ; et le sein d’une jeune femme amoureuse a déjà le dessin d’un berceau.