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Page:Lemonnier - Adam et Ève, 1899.pdf/177

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pourquoi j’avais emporté ma carabine. Des écureuils jouaient dans les chênes ; des palombes roucoulaient. Ces bêtes aimables me charmaient plutôt : elles étaient comme mariées au grand amour de la terre.

J’avais quitté Ève ce matin-là, voulant être un peu loin d’elle avec moi-même. Il me semblait que j’avais encore quelque chose à connaître. Et j’étais là très seul maintenant. Je ne pensais plus à Ève et cependant elle pensait en moi, elle me disait : « Vois comme tout cela est délicieux. » Je m’étais couché sur le dos, au soleil ; je ne faisais pas un mouvement ; j’avais oublié que j’avais emporté ma carabine. La chaleur me faisait haleter joyeusement. Je ne cessais pas de regarder le ciel entre les feuillages légers. Et puis les sèves du printemps me grisèrent ; je sentis tout à coup une grande force me venir de cette nature jeune. C’était une chose profonde en moi, un flot lent et continu qui me submergeait comme si je fusse descendu aux eaux d’un fleuve. Il me semblait que les arbres et le ciel et les petites sources sous les