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Page:Lemonnier - Adam et Ève, 1899.pdf/219

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son lait, ne voit rien au delà de la joie de le verser à son nourrisson. Mais moi, ayant encore aux oreilles la parole du vieillard, je pensai que le cri d’un petit enfant retentit à travers la vie des temps. Les siècles viennent au bord des langes et regardent les petites mains remuer le tissu des jours.

La maison, autour du mystère de l’allaitement, fit silence. Il n’y avait encore là ni l’âne ni la vache et cependant le pauvre, comme dans les estampes, considérait l’enfant avec les yeux ravis du vieux roi Balthazar. Une clarté d’étoiles pleuvait dans la nuit du seuil. Lui ayant mis la main sur l’épaule, je le tirai de sa songerie : « Dis-nous, père, s’il n’en doit pas résulter d’amertume pour toi, comment, ayant connu des mœurs simples selon le vœu de la nature, tu te résignas ensuite à la vie tourmentée des villes. » Cet homme antique passa la main sur son front et me répondit : « Je suis celui qui n’a pas de patrie. Ma destinée est d’errer parmi les hommes. Et j’ignore où j’ai vu le jour, je ne sais pas davantage où je fermerai les yeux. Mon bâton, quand j’ai