Aller au contenu

Page:Lemonnier - Adam et Ève, 1899.pdf/248

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sortaient librement. À pas mesurés, tondant le pâturin et le serpolet, ils allaient par le pourpris avec le balancement lourd de leurs têtes. Vers le midi du jour, ils gagnaient la fraîcheur des arbres. L’âne, constant et paisible, n’aimait pas les longs voyages ; la vache, au contraire, mobile et inquiète, reculait toujours les confins du pâturage. En marchant, ils faisaient sonner la clarine que tous deux portaient au col. Je l’avais taillée dans du frêne durci au feu et sonore. Son tintement nous avertissait de l’endroit de la forêt où ils erraient. Trois fois le jour Ève et moi partions avec la seille recueillir le lait. Il écumait entre nos doigts, puissant et clair, parfumé d’une odeur de musc et d’amande. Une part ensuite se crêmait dans les jarres pour le beurre ou se caillait pour le fromage. L’autre, liquide et fraîche, nourrissait les enfants et moussait dans les écuelles. Nous en arrosions aussi nos cueillettes de fraises sauvages. Et la vache, à cause de ses bienfaits, nous fut sacrée à l’égal d’une vie fraternelle. Ève l’avait baptisée d’un nom humain, afin