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Page:Lemonnier - Adam et Ève, 1899.pdf/46

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portait les mûres du bois. Mais aussitôt mon cœur gronda. Si elle vient la première à toi, c’est qu’elle l’a fait déjà pour, un autre. Voilà, oui, la grande douleur. Elle était entrée dans la forêt et je ne savais rien de sa vie. C’était le matin, la terre s’éveillait et un autre peut-être déjà avait passé avant moi. Je marchai très vite vers la maison. J’étais faible, les jambes tremblantes, et cependant une force noire me déchaînait. J’avais arrangé ainsi les choses : j’appellerai Janille, je porterai la main à son corsage. Si elle rit au lieu de pleurer, je lui dirai : « Va-t’en, toi qui ne m’as pas supplié au nom de l’amour ! » Et puis je tombai là où je me trouvais, je frappai avec colère la terre de mes mains. Terre, ô terre ! fais un grand bruit de feuillages afin que je n’entende plus cette chose harcelante en moi. Je roulai ma tête dans les mousses, j’appuyai mes paupières brûlantes au sol frais, aux canaux profonds de la vie, espérant laver à mes yeux la petite image profanée. La terre écoute toujours celui qui la prie sincèrement. Mon cœur devint la forêt de mai avec ses vents doux comme