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Page:Lemonnier - Adam et Ève, 1899.pdf/49

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le pain : je le retenais avec mes deux mains. Maintenant, quand j’étais près du ruisseau, je ne savais plus si c’était sa petite onde qui coulait ou si j’entendais sourdre de moi ma vie ardente. Il y avait aussi là d’étranges glouglous comme des sanglots de femme doucement gémissante. Est-ce toi, Janille, qui, dans le silence vide des chambres, pleures là bas, comme moi-même, avec le mal délicieux de ton cœur dans les mains ? Dans les feuillages la meule d’or des mouches tourbillonne et ronfle. Le vent par les pentes roule des palets de soleil. Je crois voir le ruisseau laver le ciel sur ses galets, avec de mobiles mains bleues. Viel Vie ! que tu es effrayante dans ta beauté ! Un atome de toi est comme le dieu éternel. Il n’y a pas plus loin de l’insecte et du brin d’herbe à moi que de moi à Dieu. J’écarterai mon pied pour la fourmi. Je ne cueillerai pas la fleur où butine l’abeille. Écureuils, oiseaux, doux esprits de la terre, un homme ici a passé fraternel.

Janille à présent me demandait pourquoi je partais au bois sans ma carabine. Je lui