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Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/111

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XII



Les deux derniers mois se passèrent dans l’attente et la fièvre de cette délivrance qui semblait toujours se reculer.

Rien ne restait de son ancienne coquetterie. Même devant le monde, elle trôlait avec le roulement de sa ceinture devenue énorme, ses jupons remontés à ses genoux, les bras et la face poissés, supportant de ses mains larges ouvertes sur le bas-ventre la rondeur douloureuse de sa maternité.

— Pour sûr, pensait Huriaux débonnaire, c’est les femmes qu’ont toute la peine à c’métier de misère. L’bon Dieu aurait ben dû nous donner not’ part. V’là bentôt ses neuf mois qu’e’ roule sa bosse, m’pauv’ Clarinette. Et vrai, c’est pas pour rigoler. Mais minute, patience ! qu’elle ait seulement s’petit, et tout ça changera ! On s’paiera du bon temps !

Puis il repensait à l’idée de Clarinette ; un petit débit de boissons, qu’ils auraient dans le centre du village, leur procurerait des ressources. Rien que l’achalandise des ouvriers de l’usine leur ferait, pour le début, un fond de clientèle. Plus tard, on verrait à tenir un logement. Çà et là, aux parlotes de cabaret, il s’était enquis déjà du prix approximatif d’un établissement. Lengelé, un cocher du comte de Marloies, qui avait épousé une cuisinière de la ville, avait monté un café avec quinze cents francs ; mais dans ce prix figurait l’encavement d’une futaille de vin, d’un baril de genièvre et d’une troizaine de tonnes de bière.

Au bout d’un mois, il fut obligé d’appeler Zébédé à la rescousse. Elle vint s’installer dans la maison, dirigea le ménage, se rendit indispensable par son activité, tôt levée et tard couchée. Elle ne rentrait plus chez elle qu’une ou deux fois la semaine ; et quelquefois le cousin Lerminia arrivait dans le jour, se piffrant de viande