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Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/149

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XVII



Une après-midi, Clarinette vaguait aux boutiques, du côté de la station quand, dans la fumée d’un train stoppant, elle aperçut, par la barrière en claire-voie, Ginginet qui sautait du marchepied, sa marmotte à la main. Elle demeura un instant clouée sur place, dans son saisissement de le voir, alors qu’elle ne l’espérait plus, régla précipitamment sa dépense et, au passage, le héla d’un psit dans le dos.

— Ou’que tu vas si vite, m’chéri ?

— Chez toi.

— Parole ?

— Parole !

— C’est qué, d’j’vas t’dire, l’aut’ est là à traîner ses brayettes.

Pas de veine ! Il arrivait du fond des Ardennes où il avait roulé tout un mois, le sang cuit par les bourgognes et le gibier ; il comptait se dédommager de son jeûne de femmes chez la luronne, et voilà que ce cocu de Huriaux se jetait en travers de ses jambes. Au diable les maris ! Elle le trouva si gentil dans son complet gris, battant neuf, qu’elle oublia ses griefs passés, l’appela « pauv’ p’tit homme », long comme le bras ; et tous deux, au chaud de la rue, avec un rire gêné, se plongeaient les yeux dans les yeux, tourmentés d’un même désir.

— Pas moyen alors ? interrogea-t-il.

Elle cherchait.

— Choute, viens to d’même. J’trouverai ben une avisance.

Ils se quittèrent avec un salut cérémonieux. Il descendit la chaussée et elle entra chez l’épicier, regardant à travers la vitre se balancer sa taille fringante, au loin.

C’est vrai qu’ils n’avaient pas de chance : Huriaux s’était donné un tour de reins l’avant-veille dans une manœuvre maladroite et