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Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/21

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parmi des volées de moucherons que la blancheur des peaux attirait ; et la rivière coulant à l’arrière des chantiers, une vingtaine d’ouvriers s’y guéaient au soleil, piquant des têtes ou faisant la planche, sous les paquets de suies constamment chassées des cent cheminées de l’usine et comme des vagues sombres roulées à travers les grèves d’or bruni de l’espace.

Puis les cours se peuplèrent d’un galop pressé d’hommes qui entraient, leur briquet sous le bras, croisant en chemin la sortie des travailleurs du jour, harassés et haletants ceux-ci, après leur labeur surhumain de cyclopes qui durait de l’aube à la nuit, comme des bêtes de somme fourbues pour avoir convoyé des bâts trop lourds par des sentes pierreuses, la langue pendante hors de la bouche, un nuage d’hébétude répandu sur toute la face et la démarche paralysée par un commencement de torpeur. Des ateliers de la chaudronnerie et du montage ne sortait plus qu’un bruit apaisé d’enclumes inégalement frappées par les marteaux.

— Habi ! rotte, fieu, j’seu là, claironna tout à coup une grosse voix bruyante aux oreilles de Huriaux.

Et dans la grande baie enflammée qui ouvrait sur la carcasse des hauts fourneaux, ce dernier vit se dresser la monstrueuse silhouette de son copain de nuit, le borgne Capitte, dit le Berlu, sa grosse tête hilare balancée sur son col de buffle, avec le crespèlement de sa broussailleuse crinière rutilante au soleil.

— C’est pon d’refus. Cré chaleur ! j’marche din du beurre. Et c’est nin tout. L’malheur à Clarinette cor’ par là-dessus !

L’autre fit un signe, on lui avait dit la nouvelle à son entrée. Ce pauvre vieux ! Fallait bien que ça lui arrivât, après tout le reste ! Puis Huriaux se débarbouilla, passa sa chemise, tandis que de son côté le camarade faisait sauter de ses mains calleuses le bouton de sa veste et découvrait de fauves mamelles plaquées de larges tétins, bruns comme des pochons.

Un grondement, semblable à un bruit d’eaux rompant leurs digues, parut en ce moment monter des dessous du sol, se répercuter de proche en proche, courir à travers la profondeur de l’atelier ; et presque sans transition, la rauque symphonie des pilons, des ringards, des cisailles à vapeur et des chariots rebon-