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Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/214

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avaient eu la douloureuse joie de trouver les leurs en vie, bien que la plupart rudement hypothéqués.

La grande Philomène, entrée une des premières, avait tout de suite aperçu son pauvre Simonard étendu sans mouvement sur un des lits. Elle s’était précipitée avec une explosion de larmes et de sanglots. Mais il était très abattu, l’œil clos, lâchait des bordées de jurons à travers des paroles vagues, dans un commencement de fièvre, sans la reconnaître. Comme elle l’appelait toujours, la tête près de la sienne, sur l’oreiller, il souleva enfin la paupière, puis cherchant sa main :

— M’pauv’ vî femme ! C’est fini, j’te ferai pu d’la peine.

Elle sanglotait :

— M’n homme, m’pauv’ homme ! T’as ren à t’reprocher. C’est moé qu’étais rosse pour toé. L’bon Dieu m’a punie ! Mais faudrait nin qu’i t’arrive malheur, j’vivrais pon après toi.

Elle l’entourait de ses bras, lui coulait toutes chaudes ses lèvres sur le front. Mais bientôt le délire le reprenant, il la repoussa, avec des injures :

— Va-t’en. Fous le camp, carogne.

Alors elle se planta debout devant lui, la tête dans les mains, gémissant :

— I m’remet pus, il est parti. Ah ! mon Dieu, mon Dieu ! quoé qué j’vas devenir à c’t’heure !

Au bout d’un petit temps, sœur Angélina vient la prendre par le bras.

— Soyez raisonnable. Madame, il y en a d’autres qui attendent leur tour. Vous reviendrez demain.

Demain ! c’était facile à dire. Mais est-ce qu’elle était seulement sûre de le voir encore en vie demain ? Sûrement, comme tout le monde, ils avaient eu des mots ensemble, mais ça ne durait pas ; il n’y avait pas de meilleur ménage que le leur ; et elle vantait ses qualités, disait la date de leur mariage, fit une allusion à sa famille à elle.

— Vous me direz ça plus tard. Je suis pressée, répétait la religieuse, pour s’arracher à ses confidences.

Son chagrin un peu allégé par les bavardages, Philomène alors