Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/255

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affaires. Au bout de toutes ses conjectures, le gérant voyait perpétuellement revenir la crainte et l’inquiétude d’une crise imminente. L’habitude de l’autorité, les préjugés de sa position sociale, un certain mépris pour les foules humbles qu’il dominait de toute son omnipotence, le prédisposaient à n’envisager dans le travailleur qu’un instrument, un outil, une machine soumise à l’usure et aux dégâts des machines véritables. Publiquement il affichait des sympathies pour le prolétariat, mais dans l’intimité les démentait par une morgue que son mariage avec Mme de Jauquelet, fille d’un marquis ruiné par les femmes et le jeu, avait surtout développée. C’était lui qui, dans un dîner auquel il avait convié son conseil d’administration et ses ingénieurs, s’était permis cette théorie cruelle :

— Il faut affamer l’ouvrier, parce que trop largement nourri, il deviendrait une bête féroce qui nous mangerait tous.