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Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/261

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Le jour de la séance, le conseil d’administration se trouva réuni au complet. Des Tombeux, Sérizy, Flahaut, Manoy eussent souhaité des allocations moins élevées pour les veuves et les blessés. Mais Marescot, rentré de Paris, batailla pour faire ratifier les dernières propositions de Poncelet ; Sérizy et des Tombeux s’étant a la fin ralliés à son avis, on passa outre aux refus de la minorité.

Une volée de plis cachetés s’abattit dès le lendemain sur l’agglomération. C’était la gérance qui notifiait aux ayants-droit la décision prise a leur égard par le conseil. Simonard, réduit à une complète incapacité de travail, eut deux cents francs de pension et une indemnité de quinze cents francs ; les enfants Blampain obtinrent deux mille francs ; la Billette avait été marquée pour huit cents ; la bossue et Pilasse furent avisés qu’aucune suite ne pouvait être donnée à leur demande. La Culisse, elle, recevait douze cents francs. Parmi tous les autres mécomptes, le sien fut le plus violent : son coup de folie de la morgue semblait l’avoir reprise ; elle courait la rue, déblatérait contre les maîtres, avec des larmes fraîches sur le pauvre Martin. Et comme le scandale s’éternisait, le mari, l’homme primé pour n’avoir point blasphémé le nom de Dieu pendant une année entière, fut prié d’y mettre un terme. Il arriva que, l’argent régulièrement encaissé, cette grande colère douloureuse s’usa graduellement à émotter et à épierrer la parcelle de terrain qu’ils achetèrent avec cette rançon du sang à Martin.

Tout à coup les placards annonçant la réduction des salaires furent apposés dans les ateliers. Elle avait été calculée sur le pied d’un sou par quart, pour les ouvriers payés à la journée, et d’une diminution proportionnelle du prix de la pièce ou de la charge, pour les travailleurs à la pièce, les chauffeurs et les puddleurs. Comme les surveillants achevaient d’afficher, un mouvement se fit ; des ouvriers qui avaient lu colportaient la nouvelle, on lâchait la besogne, des groupes s’attroupèrent. Quatre sous à la journée, c’était un pain d’une livre qui s’en allait, le pichet de bière du midi supprimé, la ration de fromage de cochon fichue, une part de la vie animale sur laquelle on ne pourrait plus compter. Une rumeur traîna dans les cours, monta le long des hauts fourneaux, circula à