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Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/28

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par le famélique coureur d’emplois d’autrefois, les mécomptes et les découragements du début de sa carrière. L’entraînement du labeur professionnel l’avait détourné de l’étude des théories sociales ; mais, de rancœur pour les opprobres anciens et de solidarité indestructible envers cette plèbe, sa mère nourricière, constamment outragée dans sa condition, il s’était senti irrésistiblement attiré vers la légitimité des revendications de la classe ouvrière, allant même, dans sa large conscience d’honnête homme, jusqu’à justifier l’état de guerre en une société divisée sur le plus saint et le plus élémentaire des droits, le droit à la vie pour le petit comme pour le grand.

Happe-Chair, en retard sur nombre d’établissements similaires du pays, n’avait point encore songé, malgré les gros bénéfices partagés annuellement par ses actionnaires, à assurer l’innombrable milice de ses travailleurs contre la mort, la maladie, la misère et l’ignorance, cette coalition de fléaux également redoutables qu’un des premiers, un grand homme de bien, propriétaire d’immenses exploitations charbonnières, Jean-Noë Prescott, avait cherché à conjurer au moyen d’institutions prévoyantes dans un centre industriel voisin. La puissante usine, comme un organisme incomplet auquel manquerait un rouage essentiel, n’avait encore ni écoles, ni caisses de secours, ni magasins d’alimentation, L’infirmerie elle-même, mal montée, avec un matériel vétuste et délabré, ne répondait pas à l’éventualité des grandes catastrophes. Jamioul vit là une mission pour lui. Il se livra à des recherches, s’enquit des innovations réalisées ailleurs, fit un travail que, sur le conseil et avec l’appui de Marescot, très satisfait de jouer un tour aux bancocrates et aux aristos du Conseil, il lut devant les administrateurs réunis. Ce qui avait touché surtout le crésus, c’était la possibilité d’amender la condition matérielle de l’ouvrier, son ancien frère d’infortune. Pourtant il s’était fait tirer l’oreille sur la question de l’instruction, dont Jamioul s’efforçait de lui démontrer l’impérieux et urgent besoin.

— À quoi ça leur servira-t-il de lire et écrire ? J’ai bien fait mon chemin sans ça, moi ! Compter, oui, à la bonne heure. Mais lire des gazettes ! Bon pour des gens qui n’ont rien autre à faire ! Croyez-