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Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/309

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qui allait de sa vie à lui à l’autre chair vagabonde, roulée à Dieu sait quelles perditions, une sueur lui passait dans le dos. Toute sa paix d’esprit de nouveau l’abandonnait, il sentait autour et au-dessus de lui comme l’étroite fermeture d’un bagne dont rien ne pouvait le tirer et dans lequel il était condamné à traîner misérablement le reste de ses jours. Le maire, qu’il s’était avisé de consulter, lui avait dit que, tant que ses griefs n’auraient pas été portés devant le juge, il ne pouvait empêcher Clarinette de reprendre sa place au domicile conjugal. Même elle était en droit de requérir l’aide de la police pour se réinstaller dans le ménage, dans cette condition de femme légitime à laquelle elle s’était soustraite si scandaleusement. Et petit à petit l’idée qu’il allait la voir revenir, avec son mauvais rire, ses impudentes bravades, devint une obsession qui le harcela sans trêve. Peut-être la retrouverait-il un soir, l’attendant sur le seuil. Il la savait assez hardie pour braver la foule, ne point redouter de se montrer au plein jour dans le Culot, où s’était étalée son infamie. Et chaque fois qu’il rentrait à présent, ses yeux de loin se tendaient, ses tempes battaient, il avait un horrible serrement de cœur en songeant qu’elle était peut-être là. À travers la distance. Clarinette avait fini par grandir en lui aux proportions de quelque créature malfaisante, lâchée à ses trousses, toujours gravitant dans son ombre. Un taureau furieux, une bête enragée, une lionne échappée de sa cage ne lui auraient pas inspiré la peur qui, à la pensée de la voir se dresser tout à coup sur le chemin, s’emparait de tout son être, au point de le rendre lâche et de lui casser les jambes sous lui.

Cependant le scandale s’assoupit ; on ne pensa plus qu’aux malheurs de Huriaux ; et de bonnes âmes se trouvèrent qui mirent le mari berné au courant de tous les bruits qui avaient couru sur sa femme. Il les laissa dire d’abord, une force lui venant de toutes ces histoires sales qui la rendaient plus haïssable à chaque révélation nouvelle. Il eût voulu que ses turpitudes fussent hautes comme une montagne pour lui couler au cœur les énergies dont il avait besoin dans son pressentiment d’une apparition de l’épouse infidèle. Mais à la longue, un écœurement le prit ; tout ce flot d’ignominies remuées l’éclaboussait, rejaillissait sur sa condition pré-