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Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/82

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le seul qu’elle eût prononcé jusque là, et elle se prit à rire comme les autres, en se coulant la main sur l’estomac.

Au café, Zinque, prié par la tablée, se leva, chanta des gaudrioles ; mais les premières n’ayant pas été jugées suffisamment salées, il accentua d’une pantomime risquée des couplets grivois, appris aux caboulots de la ville. Alors il y eut des battements de mains. Clarinette se renversa, pâmée, sur sa chaise, et tous ensemble répétèrent le refrain, les hommes avec des grommellements de basse-taille, les femmes avec d’aigres piaulements désaccordés. Puis Simonard, qui aimait le sentiment, trémola le Pauvre porion. Mais, décidément on préférait les horreurs, et Zinque, dont le répertoire était inépuisable, se risqua à une obscénité où il était irrésistible et qu’il accompagnait d’un trémoussement de reins.

À six heures, des camarades arrivèrent, qui n’avaient pu quitter plus tôt l’usine, et l’un d’eux, le chauffeur Flaisolle, amenait avec lui sa femme Ursmarine, une brunette qui avait gardé des restes de jeunesse. Puis apparurent aussi les fils du cousin Lerminia, le scloneur, retenu chez lui par une blessure à la jambe. Tous deux, ayant salué les nouveaux mariés d’un proficiat ! s’installèrent, leur casquette dans leurs genoux, gênés, mangeant des yeux les femmes. Une altercation éclata en ce moment entre Simonard et la Philomène pour un verre que celle-ci venait de casser ; leur vie se passait ainsi à se quereller, même en public ; l’un et l’autre s’éternisant dans leurs injures, quelqu’un, pour faire diversion, proposa d’aller achever la soirée dans les cafés. Les hommes, qui s’étaient mis en bras de chemise, enfilèrent leurs redingotes, les femmes se recoiffèrent, et toute la noce gagna la rue, derrière Huriaux et Clarinette redevenus graves.

La chaleur de l’après-midi tomba alors sur les fermentations de la boisson. Zinque, les yeux hors de la tête, se déhanchait en un pas de cancan, tout seul devant les autres couples qui fringuaient et gambillaient. Et les cavaliers, cérémonieux, la main sur le cœur, faisaient des grâces, tandis que les commères toupillaient, les jupes troussées jusqu’aux jarretières, dans l’ardeur des entrechats. Ils firent, en dansant, le tour de la place ; puis, entrelacés et toujours gigotant, on s’engouffra à l’Harmonie, le principal