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Page:Lemonnier - L'Hallali, sd.pdf/68

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l’hallali

l’argent. Il ne savait pas ce qu’il en ferait ni même s’il le garderait ; mais tant qu’elle était là, cette somme, c’était déjà comme s’il la palpait dans sa poche.

Un heurt de faïences signala les apprêts du festin. Dans la cuisine, la basse enrouée de Jumasse sacrait contre la chatte qui, toujours affamée, du bout de la patte tâchait de happer les lapins pendillant à la broche.

Puis des petits pas dans de gros souliers à clous grincèrent sur les dalles. Une voix dit :

— C’est moi.

— C’est frérot, cria Jaja.

Michel poussait la porte, tirait sa casquette devant son grand-père, et tout de suite se mettait à lire dans un livre de distribution de prix. C’était une petite âme frileuse et ratatinée, celui-là, venue sur le tard dans leur vie de vieilles gens. Tout enfant, sans goût du jeu, avec un froid de solitude au cœur, il s’était senti un intrus dans la grande maison des ombres. L’ancêtre au profil de cheval lui causait un inexprimable effroi ; de son père il n’avait connu qu’un taciturne, triste et sombre visage ; même la grande sœur, cette belle et hautaine Sybille, lui restait étrangère. Sans le petit cœur tendrement chaud de cette bête de Jaja, peut-être il serait mort d’ennui et de langueur. Depuis, l’entremise du curé lui avait