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Page:Lemonnier - Noëls flamands, 1887.djvu/148

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ce dont il avait besoin et se mettre au lit sans l’aide de personne. Il regardait la neige qui tombait lente sur les toits, le ciel roux comme là où il y a un incendie et les façades des maisons toutes noires sous leurs calottes blanches, et il songeait en lui-même :

— Il y a maintenant un pied de neige au cimetière, et maman dort là-dessous, dans la terre. Je ne la verrai plus jamais.

Puis il appesantissait sa tête sur ses petites mains maigres, pensait à M. Muller et à madame Lamy, et se sentait le cœur tout gros, à cause de la reconnaissance qu’il leur devait.

Quand il était fatigué, il rentrait au lit, se réjouissant de la fraîcheur des draps, et il coupait par petits quartiers les oranges de madame Lamy, dans un dessous de tasse où elle avait versé du sucre en poudre. Et quelquefois, quand ses bons amis étaient réunis près de lui, il les regardait en riant doucement et leur disait :

— Je voudrais être toujours malade pour vous voir toujours auprès de moi.

D’autres fois il se mettait à pleurer et les embrassait en disant :

— Qu’est-ce que je puis faire maintenant pour vous prouver que je ne suis pas un ingrat ? Jamais je ne saurais vous rendre tout cela, ni même la millième partie.

Il n’y avait pas d’homme plus gai que M. Muller depuis que Jean était sauvé, et c’était une singulière chose de voir tout ce qu’il inventait pour le dérider. Il sautait, dansait, racontait des histoires, chantait, faisait des culbutes, mettait ses habits à l’envers et singeait M. le directeur Scherpmes, quand il se promène dans le vestibule, les mains derrière le dos et qu’il parle du nez, en disant de belles choses. Non, il n’y avait pas d’homme, plus gai que M. Muller, et Jean riait de tout son cœur.