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Page:Lemonnier - Noëls flamands, 1887.djvu/163

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— Je ne sais pas ce qu’est devenu mon Perrault, mais sois tranquille, je t’en apporterai ce soir un plus beau que le mien.

Jean resta toute cette journée près du feu à feuilleter les livres de M. Muller, admirant surtout les petites images où des marquis en culottes à bouffettes se courbent, le chapeau à la main, devant des marquises en paniers ronds comme des tonneaux ; et il pensait en lui-même qu’il n’avait jamais vu de plus jolies figures.

— Prendrai-je une couverture rouge ou une couverture bleue ? se disait pendant ce temps M. Muller.

Et quand sa classe fut finie, il s’en alla flâner à la vitrine des libraires.

Une bruine brouillait la rue d’une grise et froide vapeur où les réverbères semblaient de gros yeux rouges qui pleurent en regardant venir les passants.

Le petit homme, de dessous son grand parapluie, inspectait les livres étalés chez les marchands, se baissant, se relevant, se penchant à droite, puis à gauche, pour mieux voir. Comme les vitres étaient argentées de petits globules d’eau où miroitait le gaz, il faisait des efforts incroyables pour mettre son œil aux endroits où il y avait le moins de buée, et ensuite il passait machinalement dessus, pour éclaircir le trou qu’y faisait son haleine, les grosses moufles de madame Lamy.

De beaux livres à couverture gaufrée d’or étincelaient parmi les reliures de maroquin, dont on voyait très bien papiller le grain vernissé. Et à côté de ces beaux livres, faits pour les riches, s’en trouvaient de moins chers, avec des couvertures coloriées de tons vifs que la gomme arabique plaquait de tranches luisantes. Il y avait là l’Histoire de Fanfan-la-Tulipe, Cendrillon, le Petit Poucet, les Contes de la mère Gigogne, la mère