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Page:Lemonnier - Noëls flamands, 1887.djvu/218

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— Ah ! Claes Nikker, voilà à peu près vingt-deux ans que je suis votre curé ! Nous devenons vieux, mon fils.

Et M. le curé ayant ouvert sa tabatière, donna deux petites tapes contre la paroi, prit une grosse prise de tabac et la roula entre son pouce et son index, longuement, puis il ferma sa boite, boucha sa narine gauche et se mit à renifler à petits coups dans sa narine droite les grains écrasés sur son pouce. Cette besogne, qu’il recommençait souvent, avait l’air de réjouir particulièrement M. le curé, car il allongeait alors son menton jusque sur son rabat, fermait à demi les yeux et poussait un soupir de bien-être.

— Oui, Nikker, vingt-deux ans, fit M. le curé. Combien vous dois-je, Nikker, pour mes derniers souliers ?

— Quinze francs, monsieur le curé, comme toujours. Mais cela ne presse pas. Cela ne presse jamais, monsieur le curé.

— Vous êtes tous mes enfants. Je vois avec plaisir, Claes, que vous n’augmentez pas vos prix et que vous êtes toujours le même Claes Nikker qui fit ma première paire de souliers il y a vingt-deux ans, quand j’entrai dans ce village.

— Oui, monsieur le curé, mais le cuir a bien augmenté depuis et ce qui coûte à présent quinze francs n’en coûtait alors que dix.

— Claes ! Claes ! tout augmente de jour en jour, et notre pauvre Sainte-Vierge n’a presque plus de vêtements sur son dos. Est-ce que Truitje ne lui fera pas une jolie robe pour Pâques ?

— Je suis un pauvre homme, monsieur le curé, fit le malin Nikker en battant de toutes ses forces une semelle, un très pauvre homme, mais je parlerai de la robe à Truitje.

— C’est une bonne fille. Voilà bientôt le temps de la