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Page:Lemonnier - Noëls flamands, 1887.djvu/344

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plus fort que moi. Je sais bien qu’il me battra. Il m’a toujours battue. Mais il m’attend. Et puis, vois-tu c’est quand je souffre que je sens que je vis. Ne te fais pas de chagrin à cause de moi. Je n’en vaux pas la peine. Non, je ne suis qu’une…

» Il n’y eut rien à faire ; elle était décidée. Nous dînâmes ensemble, tristement, malgré ses efforts pour mettre un peu de joie entre nous. Mais je crois que j’aurais ri plutôt au chevet d’une personne qui va trépasser. Positivement, Stéphane, j’entendais des cloches de mort autour de moi. Ce n’était que trop vrai, d’ailleurs, qu’elles sonneraient bientôt pour cette malheureuse Clotilde. Mais si loin de nous ! si loin d’ici !

» Qu’est-ce que je vous dirais encore, Stéphane ? Voilà bientôt deux ans qu’elle est morte. Toute seule, peut-être ! Et qui sait ? Celui qu’elle a tant aimé, cet homme fourbe et cruel, peut-être l’a-t-il tuée.

» Ah ! j’ai bien pleuré ; je ne puis dire que Lisbeth ait pleuré autant que moi. Mais vous qui l’avez vue dernièrement, vous savez comme elle a vieilli. »

Ma tante prit sa tête dans ses mains, comme si elle eût voulu se recueillir après ce triste récit ; et quand elle sortit enfin de sa rêverie, elle me dit :

— Mon cher enfant, celles qui n’ont jamais péché, parmi les femmes, ne valent pas toujours celles qui ont effacé leurs fautes avec les larmes de leurs yeux et le sang de leur cœur. — Passez l’eau sur le thé.


FIN