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Page:Lemonnier - Noëls flamands, 1887.djvu/59

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puter aux anguilles voraces ; et sa poitrine respire enfin l’air vital.

Une grande clameur s’élève alors.

— Hardi ! Dolf ! crie la foule, haletante, qui tend les bras par dessus le fleuve.

Des bateliers ont amassé du bois sur le bord et y ont mis le feu. La flamme monte en tournoyant et le ciel en est éclairé au loin.

— Par ici ! Dolf ! Courage ! Dolf ! cœur du bon Dieu, courage ! hurle encore la foule.

Dolf est sur le point d’atteindre la berge : il fend l’onde de toute la vigueur qui lui reste et pousse devant lui le corps inanimé. La rouge lumière du bûcher se répand comme une huile enflammée sur ses mains et sa figure, et brusquement à côté de la sienne éclaire la figure du noyé.

À peine a-t-il vu ce visage blême qu’il le repousse du poing au fond de l’eau et un cri de rage sort de sa poitrine : il vient de reconnaître l’homme qui a déshonoré sa Riekje et a fait fructifier ses entrailles. Dolf, le loyal garçon, a eu pitié de la pauvre fille de pêcheur délaissée et l’a prise pour femme devant Dieu et devant les hommes. Il le repousse donc ; mais le noyé, qui sent le fleuve se refermer encore une fois sur lui, enlace son sauveur dans ses bras plus durs que le fer. Alors tous deux disparaissent dans le noir de la mort.

Et Dolf entend une voix qui dit en lui :

— Meurs, Jacques Karnavash : il n’y a pas assez de place sur la terre pour toi et l’enfant de Riekje.

Et une autre voix répond à celle-là :

— Vis, Jacques Karnavash, car mieux vaudrait frapper ta mère d’un coup de maillet sur la tête.