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Page:Leo - L Ideal au village.pdf/26

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plus pur, de plus vivant dans la vie, le premier éveil d’amour dans le cœur d’un écolier.

— Vraiment ? dit la jeune fille, sur le front de laquelle une aurore fugitive passa. Il y a donc longtemps ? Quel âge avais-tu alors ?

— Dix-neuf ans, et elle quinze au plus. C’était à Loubans. Tiens dit-il en posant le doigt sur son front, j’ai là un tableau que je n’essayerai jamais de transporter sur la toile, et dont aucun maître n’égalera jamais la fraîcheur : de grands chênes, une haie chargée de mûres, des nuages blancs qui passaient ; moi, dans les épines du fossé, lui cueillant les petits fruits noirs, et elle, souriante, émue, flattée, me regardant de tous ses beaux yeux, tandis que ses dents blanches éclataient entre ses lèvres. Elle mangea seulement une mûre ou deux, puis me dit, la coquette, en s’essuyant la bouche : « Cela noircit. » Ensuite, elle se mit à marcher dans le chemin, lentement, et je la suivis. Je ne savais que lui dire, n’osant lui dire combien je la trouvais délicieuse à voir. Un oiseau vola devant nous, et nous le suivîmes des yeux, de peur de nous regarder. Mais en marchant ainsi, les yeux en l’air, elle fit un faux pas dans le chemin rempli de pierres. Je l’entourai de mon bras pour la soutenir et la gardai ainsi pressée contre moi, sans qu’elle s’y opposât ; nous ne parlions pas. Malheureusement, je n’y voyais plus, si bien que nous allâmes nous butter, tout en marchant, contre un tronc d’arbre. Rose alors se dégagea de mes bras et rentra chez elle ; car nous étions près de son jardin. J’étais fou ; je voulais absolument l’épouser.