Page:Leo - L Ideal au village.pdf/281

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tomber sur une chaise, il s’écria d’un ton lamentable :

— Il me tuera, ce monstre, ce coquin, ce serpent réchauffé dans mon sein ! Oui, je vous le dis, il me tuera ! Et voilà pourquoi l’on élève des enfants ! Ah ! le plus cruel des métiers en ce monde est d’être père ! Tu oublies donc, ingrat, ce qu’étaient les Saulées quand je suis venu m’y établir ? Ce n’étaient que ronces dans le coteau, que joncs dans les herbes ! Oui ! ah ! oui, les parents de ta mère m’avaient laissé là un beau bien ! Qu’ai-je fait, moi ? j’ai pioché, arraché, fumé, planté, semé ; j’ai couvert d’engrais les prairies, après les avoir asséchées par des rigoles bien conduites. J’ai déblayé les pierres, j’ai…

— Vous avez fait ce qu’il vous a plu, dit Louis en interrompant cette énumération, qu’il savait devoir être longue, et vous pouvez continuer de faire ainsi ; seulement, à moi il me faut ma liberté, et je le répète, je ne me marierai pas. »

Il se dirigeait vers la porte, quand M. de Pontvigail s’élança au-devant de lui.

« Je vous défends de sortir, monsieur ; il faut que cette affaire se vide ici, aujourd’hui même ; entendez-vous, il le faut ! Je veux savoir si je dois enfin abandonner toute espérance à votre égard, vous renier, vous maudire, vous traiter comme un étranger. Vous ne m’avez abreuvé jusqu’ici que d’ennuis et de chagrins. Tout ce qu’un père a droit d’attendre de son fils, vous me l’avez refusé ; vous avez refusé de partager mes travaux, de surveiller mes gens, de suivre mes affaires ; vous avez laissé