Aller au contenu

Page:Leo - Une vieille fille.pdf/132

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sentiment sérieux, et souvent l’ennui m’y a saisie.

« J’avais dix-huit ans. J’étais l’objet des attentions d’un jeune homme qui passait pour aimable ; cela me flattait, et même j’en éprouvais du bonheur, me croyant aimée de lui. Un soir, j’étais assise là-bas, derrière la haie qui borde le chemin ; je pensais qu’il allait venir, et bientôt en effet il vint et s’arrêta près de la petite porte : il était accompagné d’un ami. — Tu entres voir ta belle ? dit celui-ci. À quand la noce ? — Allons donc répondit-il ; me crois-tu fou ? Elle n’a pas un batz de fortune. Mais elle est pleine de gentillesse et d’esprit, et, en attendant mieux, cela m’amuse.

« Je souffris beaucoup, Albert, vous le croyez bien. La déception que j’éprouvai éclaira pour moi subitement toutes les laideurs de la vie. Je me rappelai, je comparai ; mon avenir m’apparut dans le passé des autres. Je vis quel lot réserve le monde aux filles pauvres : l’outrage ou le dédain. J’étais trop fière pour accepter cette situation de vaine attente où l’on m’eût supposée. Mon orgueil