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Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/133

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l'amiral fut prévenu de la signature de la paix et fit immédiatement cesser les hostilités.

Enfin, on commença à reprendre la route de Majunga en vue de rapatriement. Pendant ce trajet, surtout entre Suberbieville et Ankaboka, j'ai vécu des scènes lugubres qui emplissent encore mes pensées d'amertume et de tristesse. Ce fut d'abord le long de la route, dans les ravins, avant Suberbieville, des mulets qui avaient roulé avec leurs voitures. Beaucoup étaient déjà décomposés et empestaient littéralement les environs. Tout cela était entièrement la faute des conducteurs kabyles. La route avait 3 mètres de large et la voiture Lefebvre 1 m. 50 entre les roues. Le mulet, déjà très affaibli, par suite du traitement barbare qu'il subissait, s'arrêtait de temps en temps pour respirer, car la piste était mauvaise et la montée dure. Le conducteur kabyle ne s'occupait pas de sa voiture et marchait le plus souvent à une distance assez grande en avant ; alors, quand le mulet par trop fatigué s'arrêtait en pleine montée, la voiture reculait et allait rouler dans le ravin, entraînant avec elle l'animal et le chargement. Et il y en avait de ces voitures dans les ravins, et des vivres dispersés le long de la route ! C'était un spectacle navrant. On s'est toujours demandé à l'avant ce qui pouvait advenir de nos vivres qui n'arrivaient jamais. Voilà l'énigme éclaircie. Par la faute de ces maudits conducteurs kabyles, les ravins ont englouti une bonne partie de nos rations pendant que nous mourions presque de faim.

Pendant ce retour de la colonne, j'en ai vu de belles ! J'ai marché avec un vieux soldat de l'infanterie de marine. Il sortait d'une ambulance où, me disait-il, son lieutenant s'était présenté un jour avec une couronne mortuaire qu'il lui destinait, tellement on avait l'habitude de voir mourir ceux qui franchissaient le seuil d'une ambulance.

Les conducteurs kabyles se livraient clandestinement à un commerce honteux au détriment de nos