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Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/154

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mais les hostilités aussitôt finies, les soldats les considèrent et les traitent en amis, et leur inculquent le respect et l'amour de la France. En somme, ces soldats coloniaux, envers lesquels les fonctionnaires civils aux colonies se montrent si pleins de morgue, sont les vrais pionniers de la civilisation et les vrais représentants de la nation française. Les colons, qu'il ne faut pas confondre avec les fonctionnaires, s'en rendent bien compte et ne se gênent pas pour le proclamer. Enfin, le soldat colonial ne cherche pas à se faire mousser comme les piliers de bureau ; sa tâche accomplie, il rentre dans le rang et n'est plus qu'un inconnu pour tous.

A mon retour à Hanoï, je fus désigné pour aller au poste de Phu-Doan. Ce poste, bien que situé sur une hauteur dominant deux fleuves, était d'une insalubrité meurtrière pour les soldats. Dans l'espace d'un mois, et sur notre effectif très faible, vingt hommes furent évacués et neuf moururent de fièvres pernicieuses ou de la dysenterie. Parmi eux se trouvait mon brave et pauvre ami de Cuverville.

Dans aucune partie du Tonkin, je n'ai remarqué parmi les indigènes autant d'aveugles, de boiteux et de bossus qu'en cet endroit. Je ne pouvais m'empêcher de rire en les voyant défiler sur la place du Marché.

De Phu-Doan, je fus envoyé comme surveillant des travaux de route entre Tuyen-Quang et Ha-Giang, une des contrées les plus malsaines du Tonkin.

J'allai d'abord me présenter à la direction à Tuyen-Quang, où se trouvait également le dépôt de la Légion. Cette ville est le centre du commerce et de la navigation de toute une partie de la haute région confinant à la frontière chinoise. La contrebande de l'opium y a pris, malgré une surveillance constante, une extension considérable. La ruse déployée par les contrebandiers indigènes est d'ailleurs fantastique et inimaginable ; les fraudeurs européens ne seraient auprès d'eux que de piètres élèves. Aussi, tout indigène sortant après la