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Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/158

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y ont laissé leur os ; notre chef lui-même, le lieutenant Dubois de Saligny, fut obligé de nous quitter, pris d'un accès de fièvre bilieuse hématurique qui faillit l'emporter.

Notre nourriture se composait uniquement de choux sauvages et de viande de porc que nous savions malsaine et que nous ne mangions que rarement. Le poste de Ha-Giang était bien chargé de nous fournir de vivres tous les cinq jours, mais la distance était telle que la viande nous arrivait complètement pourrie et que le pain, desséché, absolument immangeable, était bon à jeter. Pendant les six mois que j'ai passés sur les chantiers de la route, je n'ai mangé que six fois du pain et de la viande fraîche, c'est-à-dire chaque fois que je suis allé à Ha-Giang.

A mesure que nous terminions 4 ou 5 kilomètres de route, nous déplacions notre camp. Il fallait, chaque fois, construire de nouvelles cases qui ne nous abritaient presque pas. Il pleuvait souvent, ce qui n'empêchait pas de travailler dehors, et il le fallait bien pour arriver à terminer la route. Mais le plus triste, c'était la nuit ; la pluie était alors désastreuse. D'abord on se privait de manger, car il était impossible d'allumer du feu. Puis, nous nous couchions sur notre lit de camp en nous couvrant de la couverture et de la capote ; mais l'eau tombant sans cesse, on se relevait bientôt, complètement trempé. Le reste de la nuit se passait en promenades de long en large dans la case, avec la capote et la couverture mouillées sur le corps. Le matin, c'est le cas de le dire, nous étions frais et il fallait aller travailler quand même. Pas une seule fois, pendant ces six mois, je ne me suis déshabillé pour me coucher. Nous vivions comme les Arabes qui conduisent les caravanes dans le désert.

Une fois par mois, nous voyions passer le convoi de vivres allant à Ha-Giang accompagné par des soldats européens. Il semblait que ceux-ci venaient d'un autre monde. On avait perdu l'habitude de voir