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Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/160

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l'immoralité, le mensonge et le vol, c'est aux Annamites que revient haut la main la supériorité. Pour le travail, l'Annamite est comme l'Arabe ; parlez-lui de tout, mais pas de travailler. Ses champs négligés, son intérieur et ses enfants d'une malpropreté repoussante dénoncent chez lui la fainéantise incarnée. En revanche, il aime à se moquer de son prochain. Hypocrite et plat quand il a peur, il est au contraire d'une insolence inouïe quand il se sent protégé. La seule punition qu'il craigne, et qui soit salutaire, c'est d'être bâtonné. La prison ne produit aucun effet sur lui ; il n'y attache aucun déshonneur ; bien plus, elle lui vaut l'estime de ses compatriotes quand il a réussi, comme on dit, à rouler un Européen. Et à ce propos, un vieux Chinois qui habitait le Tonkin bien avant notre arrivée, me disait un jour que les Français avaient eu bien tort de supprimer la peine de la cadouille (bastonnade). — Pour l'Annamite, disait-il, il n'y a que cela qui compte, et la preuve, c'est que les crimes et les vols ont considérablement augmenté depuis sa suppression. Sur la route où je travaillais, les coolies annamites employaient toutes sortes de ruses pour déjouer notre surveillance. L'Européen étant obligé de visiter plusieurs chantiers dans la même journée, ils plaçaient des sentinelles pour guetter son arrivée. Alors, ils faisaient mine de travailler, soit en grattant le sol avec la pelle, soit en donnant un coup de pioche à un endroit où il n'y avait rien à faire. S'agissait-il d'un travail plus difficile, par exemple de déraciner un arbre, ils se mettaient à chanter et à crier en cadence, comme font les bons travailleurs de tous les pays ; mais jamais l'arbre ne tombait à terre sans l'intervention des coolies chinois ou des Thôs. Les Thôs haïssent les Annamites. Pour éviter des querelles qui quelquefois finissaient mal, il fallait séparer les deux races et, autant que possible, ne pas les laisser travailler sur le même chantier ; il arrivait cependant que, pour un travail urgent, nous étions obligés de joindre les Annamites aux