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Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/250

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quitta son habit rouge et s’éloigna, sans mot dire, laissant les cadavres (têtes et corps) sur place à la disposition des parents ou amis. Quelques spectateurs déshabillèrent alors les suppliciés et s’emparèrent de leurs effets sans que personne protestât. Ce jour-là le thermomètre marquait 17 degrés au-dessous de zéro.

Le lendemain, je rentrai à Mou-Ling en apportant le courrier de Pékin. Aux Tombeaux il était très difficile de s’approvisionner en légumes. Chaque homme versait à l’ordinaire 25 centimes par jour, ainsi que les 35 centimes d’indemnité de cherté de vivres. La compagnie possédait déjà un boni de plusieurs milliers de francs. Mais en pareil cas, qui en profite ? Jamais les hommes de l’avant ; en campagne, ils sont toujours négligés au profit de ceux qui restent dans les garnisons. Autre anomalie : les vivres dus et qu’on ne touche pas ne sont jamais remboursés. Enfin l’argent versé à l’ordinaire s’accumule et en fin de compte, lorsqu’on le dépense, ce sont les nouveaux venus qui, sans avoir rien versé, en bénéficient. Il en est de même pour les effets et chaussures qu’on laisse s’entasser en ballots au service de l’arrière et qui, dans chaque expédition, finissent par disparaître. Si encore l’État, responsable de l’ensemble, supportait la perte ! Mais non, c’est à la masse individuelle qu’on impute les effets perdus, de sorte que l’homme non seulement ne reçoit pas ce qui lui est dû, mais paie encore de son pécule les fautes lourdes ou les négligences de l’administration. De pareils errements ne sont-ils pas la négation de tout principe de justice et d’équité ?

À Mou-Ling, nous reçûmes un jour la visite d’un neveu de l’empereur, qui résidait à Si-Ling. Il traînait derrière lui une suite de soixante-quinze hommes environ et venait remercier notre commandant du tact et de la correction avec lesquels il s’acquittait de sa délicate mission. Il lui exprima sa gratitude de ce qu’il avait préservé de toute dégradation ou profanation