Aller au contenu

Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/297

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le lendemain de mon débarquement, je me promenais avec un camarade sur la Cannebière, chère à tous les cœurs marseillais et, comme toujours, grouillante de monde. Nous fûmes accostés par un monsieur qui nous demanda fort poliment si nous n'avions pas quelques achats en vue ou quelques besoins à satisfaire. Il nous conduirait, disait-il, dans des maisons... de tout repos, où on nous ferait un rabais considérable. Je ne me fis pas la moindre illusion, car je savais depuis longtemps que tous ces racoleurs de Marseille et des autres ports sont affiliés à des souteneurs et à des filles de la pire espèce. — Oui, dis-je au bonhomme ; je dois faire quelques achats, mais auparavant j'ai une course pressée. Je savais qu'il ne me lâcherait pas, et instinctivement j'avais mis la main en poche, prêt à sortir mon revolver qui, chaque fois que je séjournais à Marseille, ne me quittait jamais. Je dis à mon camarade que j'étais obligé de lui fausser compagnie. J'avais mon idée. D'abord, je me mis à marcher en allongeant le pas le plus possible. L'individu suivait à ma hauteur et voulait à toute force savoir où j'allais. Je ne le savais pas moi-même et je continuais à forcer l'allure, ayant toujours à mes trousses le particulier que cette course désordonnée commençait à abasourdir. Enfin, après avoir marché plus d'une heure et demie en passant plusieurs fois dans les mêmes rues, je profitai d'un moment où mon homme, hors d'haleine, s'épongeait le front, pour sauter d'un bond dans un tramway et le planter là. Il comprit enfin la farce et m'envoya des injures. Mais le tramway filait toujours et je me contentai de lui crier : Au revoir, mon lascar !

Le même soir, je me trouvais avec un autre camarade dans un café-concert, lorsqu'un garçon vint nous dire que deux dames désiraient nous parler. Très intrigués, nous sortîmes. En effet, deux dames, fort élégamment mises et ne ressemblant aucunement à des demi-mondaines, nous demandèrent des nouvelles