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Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/300

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usine. À cette occasion, je me demande si le soldat colonial français est moins digne d’intérêt que le soldat anglais et hollandais. Voyons en effet la différence de traitement. En Angleterre comme en Hollande, il a été créé, en grande partie par des dames de la plus haute aristocratie, des sociétés qui ont pour but d’habiller, de nourrir et de loger les soldats libérés de l’armée coloniale jusqu’à ce qu’elles lui aient procuré une place. Or, les soldats coloniaux de ces deux pays sont-ils plus méritants que les nôtres ? Ayant marché et combattu côte à côte avec les camarades des autres nations, je réponds avec conviction : non ! D’autre part, est-on moins généreux, moins humain en France que partout ailleurs ? Assurément non. Mais, ce qui nous distingue malheureusement des pays que je viens de citer, c’est qu’en Angleterre et en Hollande, tout le monde sans exception, depuis le multi-millionnaire jusqu’au dernier ouvrier de fabrique, est parfaitement au courant de ce qui se passe dans les colonies. En France, au contraire, on sait plus ou moins que les colonies existent. Dans la masse du peuple, elles apparaissent comme des pays vagues, situés on ne sait trop où et incapables de rien produire — quelques arpents de neige — disait-on dédaigneusement en parlant du Canada. Aussi tout le monde se désintéresse-t-il de nos colonies. Qu’elles prospèrent, qu’elles périclitent, qu’on s’apprête même à nous les ravir, peu importe ! Et, chose caractéristique, les hauts fonctionnaires du département, comme on dit, ne se départent presque jamais de leur siège directorial pour aller visiter nos colonies. Leur grandeur les attache au rivage ; ils sont fidèles à la formule : administrer de Paris, à coups de circulaires et de câblogrammes ! Pour conclure, je suis persuadé qu’on ferait autant en France pour les soldats coloniaux que dans les puissances que je viens de citer, si l’on savait ce que les campagnes dans les pays lointains et encore à demi barbares représentent de fatigues, de souffrances et de privations.