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Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/306

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Aux abords de notre camp, se trouvait une misérable case construite avec des débris de vieilles caisses et couverte de broussailles. C'était la demeure d'un Français qui tenait une buvette et qui débitait, principalement aux indigènes des villages environnants, une sorte de liquide ayant vaguement la couleur du cognac. Les bouteilles portaient des étiquettes à plusieurs étoiles, mais le contenu était un breuvage innommable, qui soulevait le cœur et provoquait des nausées. Cependant les indigènes appréciaient cette mixture, car la case ne désemplissait pas du matin au soir.

Plusieurs fois, je cherchai à lier conversation avec cet individu et à savoir par quel hasard il était venu s'échouer à Pac-Nam. Mais il évitait de répondre à cette question. Un jour cependant l'ayant trouvé un peu... allumé, je revins à la charge et il se laissa aller aux demi-confidences. — Il y a vingt ans disait-il, que je suis dans ce pays. — Vous n'êtes jamais rentré en France ? demandai-je. — Moi, rentrer en France ! répliqua-t-il presque avec colère. Ah ! mon lascar, vous ne connaissez pas les pays soi-disant civilisés. Non, je ne rentrerai jamais en France, ni dans aucun autre pays de ce genre. — Et à mesure qu'il parlait, il s'animait de plus en plus. — Parlez-m'en de ces gens civilisés, continuait-il, particulièrement de ceux des grandes villes. Ils sont constamment en lutte entre eux ; c'est à qui écrasera son semblable. Vous autres, sur le champ de bataille, vous luttez contre un adversaire visible, tandis que ces gens-là attaquent traîtreusement avec des armes qu'ils cachent. Peu leur importe que les hommes qui tombent entraînent dans leur chute les femmes et les enfants. Et ce sont ces gens-là qui vous parlent sans cesse de civilisation et d'humanité ! Hypocrisie, vous dis-je, que tout cela ! Voyez les noirs ou les jaunes d'ici et d'ailleurs que les civilisés appellent « les sauvages ». Vos Européens feraient bien de les imiter. Une famille devient-elle pauvre au point de ne plus pouvoir se nourrir ? Son voisin l'appelle