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Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/321

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France. Puis, quel sens voulait-on donner à la réception du général russe ? Personne n’en savait rien. Était-ce une démonstration amicale pour la Russie ? Elle manquait d’à-propos car on se doutait déjà qu’une fois rentré en Russie, le général serait plutôt blâmé que loué par ses compatriotes ; il commençait en effet à courir sur son compte certains bruits qui n’étaient pas précisément faits pour le faire considérer comme un foudre de guerre ou un héros. Voulait-on au contraire témoigner aux Japonais de Saïgon qu’on blâmait les procédés de leur nation envers la Russie ? Cette hypothèse me semblait plutôt comique. Enfin, je le répète, cette fête est restée pour moi une énigme.

La réception eut lieu au palais du gouverneur et la fête, une fête splendide pour laquelle on dépensa plusieurs milliers de francs, fut organisée dans le vaste jardin du palais. À la tombée de la nuit, tous les Européens s’y étaient donné rendez-vous, chacun déboursant sa pièce de trente ou quarante sous comme prix d’entrée. Les dames profitèrent de la circonstance pour revêtir et faire admirer leurs plus belles toilettes. Une artiste du théâtre municipal costumée en ange récita une poésie de circonstance, d’une belle inspiration, écrite spécialement par l’amiral de Cuverville en l’honneur du général Stoessel. La fête se continua par des jeux, des chants et des danses. Tout à coup, j’entendis une formidable acclamation. C’était le général russe qui paraissait sous la vérandah du palais, accompagné de sa femme. Il cria : « Vive la France », puis il quitta le jardin. Je fis de même, mais en grognant dans mes moustaches, trouvant que je n’en avais pas eu pour mes trente sous.

Certains officiers et matelots russes fêtèrent également leur ancien chef de Port-Arthur, mais à leur façon. Par groupes de huit ou dix hommes sur un rang, ils parcouraient la ville en faisant un vacarme du diable et en barrant complètement les rues sans que personne protestât. Si nos soldats, même à l’occasion