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Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/38

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d'un goût désagréable, ce qui ne nous empêchait pas de nous précipiter pour en boire avidement. La cuisine — qui consista à préparer un plat de riz au lard — fut vite faite, grâce à la bonne volonté et à l'entente de tous. Nous mangeâmes de bon appétit, hommes et gradés réunis ; puis, cédant à la fatigue, on s'endormit après avoir laissé pour garder le camp deux sentinelles qu'on fit relever la nuit à tour de rôle.

Le lendemain, nous continuâmes la route dans les mêmes conditions que la veille. Les sous-officiers portaient les sacs des hommes les plus fatigués ; nous eûmes à marcher 44 kilomètres à travers du sable que nous sentions brûler sous nos semelles et dont nous avions peine à sortir.

Enfin, nous arrivâmes à l'étape sans éclopés, malades ou traînards. Dans le Sud-Oranais, le chef d'un détachement ne peut et ne doit laisser aucun homme en arrière ; car, quoi qu'on dise, les Arabes nous considèrent et nous considéreront toujours comme des ennemis ; le retardataire est en outre exposé aux accidents, aux insolations ; et quoi qu'il advienne, il ne peut attendre aucun secours. Le chef de détachement est donc responsable et il doit employer tous les moyens dont il peut disposer pour conduire tous ses hommes à l'étape.

L'étape suivante ne fut marquée par aucun incident. Peu à peu familiarisés avec les fatigues de la vie du légionnaire, la marche et le sac nous semblaient déjà plus légers. Les sergents entamaient des chansons de route que nous répétions plus ou moins bien. Je regardais une montagne noire que l'on distinguait à une centaine de kilomètres de distance, et qui dominait la vaste plaine aride et dénudée que nous parcourions. Au loin une silhouette mobile se rapprochait de nous peu à peu. C'était un Espagnol venant de Géryville. Il était armé d'un revolver et d'un poignard à la ceinture. Il nous croisa sans rien dire. Ce fut l'unique passant que nous rencontrâmes pendant nos cinq jours de marche.