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Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/77

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roi se jetait la face contre terre. Enfin je quittai Antoine pour me rendre au dépôt ; c’est ainsi qu’on appelait les baraquements de la Légion.

Oh ! ce dépôt de la Légion à Porto-Novo ! Quels tristes spectacles s’y offraient journellement à mes yeuxt A quelles souffrances humaines n’ai-je pas assisté ! Tantôt, c’était un camarade qui, le matin encore, chantait gaiement, et qu’on emportait le soir sur un brancard à l’hôpital où il succombait dans la nuit. Puis, c’était un autre qui subitement se mettait à divaguer, dans un accès de fièvre chaude, et se débattait entre les bras de ses camarades qui cherchaient à le maintenir sur son lit et à le calmer. D’autres encore, avec des têtes de squelettes, les yeux mi-fermés, voulaient sortir pour respirer l’air, et tombaient devant la porte. Il fallait vite aller chercher le médecin qui ordonnait d’urgence le transport à l’hôpital. Tout cela était la suite de la campagne, des fatigues, des privations et du terrible climat de ces contrées.

A Porto-Novo, je fis la connaissance d’un Anglais nommé Smith, ancien sous-officier dans l’armée des Indes. Il semblait assez bien renseigné sur le Dahomey, sur les mœurs des habitants et les productions du sol. Je me suis dit : « Puisque le colonel ne l’a pas expulsé, c’est qu’il ne met pas le nez dans nos affaires ; du reste je verrai bien. » Nous sommes devenus une paire d’amis, mais nous étions séparés par nos idées et par nos goûts. Il semblait rarement saisir les impressions que je lui confiais. Il riait, ne jugeant pas qu’il dût appliquer son esprit à les comprendre. Aussi m’habituai-je à ne causer avec lui que de banalités.

Un jour cependant, étant invité à dîner chez lui, j’y rencontrai un autre Anglais de ses amis. Tous les deux étaient assis à table, chacun avec sa négresse sur les genoux — car tout Européen célibataire était en puissance de négresse au Dahomey. On vint à parler d’expéditions coloniales. L’ami disait que les Anglais ne donnent pas de médailles à leurs soldats, mais