Page:Lepelletier - Émile Zola, 1908.djvu/310

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

fonctionnaires, des titulaires de charges, des possesseurs de terre et de châteaux, des gros négociants et des hommes à professions dites libérales, jusqu’aux modestes employés, aux petits commerçants, aux contre-maîtres, aux surveillants, aux ouvriers détachés de l’établi, démunis de l’outil et portant redingote et veston, siégeant au bureau, circulant dans les ateliers, tous ceux-là n’aiment pas ce qu’ils appellent le « Peuple » . Ils peuvent le flatter à haute voix pour lui soutirer des bulletins de vote, pour l’amadouer et éviter ses insolences, ses gros mots, peut-être ses voies de fait ; ils n’ont pour lui, sauf quelques rares exceptions, que secret dédain et instinctive répugnance. Quelque chose de la répulsion méprisante et haineuse du créole pour le nègre. Les barrières matérielles qui isolaient, dans les États-Unis du Sud, les blancs des hommes de couleur ont pu être renversées là-bas ; elles subsistent, chez nous, morales. La bourgeoisie, la classe ci-dessus dénombrée, ne fraye pas avec le travailleur manuel. Elle ne partage ni ses plaisirs, ni ses peines. Elle est indifférente à ses souffrances, à son emprisonnement fatal dans les cellules sociales d’où il est si difficile de s’évader. Est-il un seul de ces bourgeois qui consente à faire apprendre à son fils un état manuel, un métier, à moins d’y être contraint ? Une fille de cette bourgeoisie épouse-t-elle librement, sur le conseil de ses parents ou par amour, et par choix, un ouvrier ? Les classes marchent dans la vie sur des voies parallèles. Elles cheminent sans se confondre, leur union n’a lieu qu’à titre exceptionnel. Ceux qui se mélangent ainsi sont des individus à part, qualifiés selon le côté de la voie qu’ils occupent, de déclassés ou de parvenus. Ces deux armées rivales s’injurient et se lancent de loin des regards irrités. Pour l’ouvrier, la