Page:Lepelletier - Émile Zola, 1908.djvu/339

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pour mourir ainsi. Comme Claude Lantier et comme Pierre Sandoz, Flaubert a eu sa vie volée par le Travail et par l’œuvre. La femme non plus n’a pas existé pour lui. Il n’avait pas le temps d’aimer, et les plaisirs courants du monde, les distractions, les bonnes causeries entre amis, les flâneries au soleil, le long des quais ou les siestes béates dans la profondeur des divans, lui semblaient de mauvaises actions, des détournements et des abus de confiance, au détriment de l’œuvre. Cette existence de Sisyphe roulant son rocher jusqu’à ce que le bloc vînt écraser le manœuvre, cette claustration intellectuelle de l’artiste, ce servage cérébral, qui n’est pas tout à fait volontaire, qui n’est pas à tout fait fatal non plus, car il a parmi ses causes l’accoutumance, c’est la matière de ce roman intime, une étude philosophique plutôt que sociale ou biologique, sujet esthétique beaucoup plus que romanesque. Il ne s’agit plus ici de la peinture d’un milieu moderne, ou du tableau d’un groupe social, comme dans l’Assommoir ou dans la Curée. L’Œuvre est inscrite dans la nomenclature sérielle des Rougon-Macquart ; en réalité, la famille névrosée, dont les divers rejetons supportent chacun un roman de Zola, ayant tous des professions diverses, et vivant dans des milieux distincts, pourrait demeurer étrangère à cette histoire intime des luttes, des espoirs, des projets, des efforts, des tâtonnements, des triomphes secrets, et des désespérances cachées d’un artiste, et ce n’est que par une supposition, non par nécessité, ni intérêt, que l’auteur a fait parent des Rougon et des Macquart le peintre Claude Lantier. L’œuvre n’est même plus un roman conçu dans la forme ordinaire de l’auteur de l’Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second Empire, qui est avant tout objective ; c’est un livre où l’analyse