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Page:Leroux - Balaoo, 1912.djvu/164

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BALAOO

— Vous savez, dit-elle, que Mlle Madeleine Coriolis va bientôt se marier ?

— Ah bah ! demanda Mme Valentin… et avec qui ?

— Mais avec M. Patrice Saint-Aubin, son cousin de Clermont.

— Le bruit en avait couru, dit Mme Sagnier, mais il n’y a pas de temps de perdu. Il est encore bien jeune.

— Bien jeune ! Il a vingt-quatre ans, reprit Mme Roubion, et il vient d’être reçu docteur en droit. Enfin, le père est pressé de lui passer son étude. Il veut le voir installé, marié et derrière ses dossiers de la rue de l’Écu avant sa fin qu’il croit prochaine. |

— Il a raison, déclara le pharmacien. On ne prend jamais trop de précautions. On ne sait ni qui vit ni qui meurt.

— On dit le fils Saint-Aubin riche pour deux, émit Mme Valentin. Est-ce que la petite Madeleine a une dot ?

Toute l’assemblée fut d’avis qu’elle n’en avait pas. Le docteur Coriolis, un vieil original, qui avait été consul à Batavia, aurait pu faire fortune en Malaisie ; mais l’opinion générale lui reprochait d’être revenu de là-bas avec une funeste passion pour « la plante à pain » qui devait lui manger ses derniers écus. A-t-on idée d’une folie pareille ? Vouloir remplacer, avec une seule plante, le pain, le lait, le beurre, la crème, les asperges, et même les choux de Bruxelles qu’il prétendait pouvoir fabriquer avec des déchets ! Et, depuis des années, il vivait avec cette lubie, au fond de son immense jardin entouré de hauts murs derrière lesquels il travaillait dans un isolement quasi complet, ne recevant point, ne voulant être aidé que par son jardinier, un gamin qu’il avait ramené de là-bas et qui lui paraissait, du reste, fort dévoué : un