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BALAOO

imprévu. Les rires cessèrent brusquement, et chacun, maintenant, se poussant du coude, regardait s’avancer un nouvel arrivant devant qui on faisait place avec un ensemble surprenant.

L’individu était vêtu d’un complet de velours jaune passé à grosses côtes. De hautes guêtres lui montaient aux genoux. Le col de sa chemise était lâche, laissant à nu un cou de taureau. Un feutre, qui n’avait plus de couleur, rejeté en arrière, découvrait une chevelure rousse, épaisse et inculte. La figure était extraordinairement énergique et calme. Les yeux verts regardaient l’assistance avec tranquillité et ennui. Les membres étaient trapus, les épaules étaient carrées, le dos un peu voûté, les mains dans les poches. Une impression saisissante de force brutale au repos mais en éveil se dégageait de ce redoutable personnage.

Il s’avança de son pas égal, au milieu d’un silence de mort, jusque sous le nez du commis-voyageur qui le regardait venir, et il avait certainement entendu ce que celui-ci venait de lancer au Maire, car il lui jeta de sa voix rude et sourde, où l’on sentait de la colère domptée :

Vautrins, Vauriens ! c’est ça que tu veux dire, mon gros ? Ne te gêne pas avec moi, tu sais, je ne suis pas susceptible !

Et il continua son chemin du côté de la cheminée où se trouvait M. le Maire.

— Bonsoir, monsieur le Maire !

— Bonsoir, Hubert…

Et M. Jules dut serrer la main tendue…

L’homme s’installa carrément au coin de l’âtre dans lequel on venait d’allumer une flambée et commanda « un verre de blanc » que Roubion s’empressa de lui