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Page:Leroux - Balaoo, 1912.djvu/88

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BALAOO

blanche dont ils enlevèrent illico le bouchon pour en apprécier l’odeur, le nez sur le goulot. Ils rebouchèrent et firent claquer, en connaisseurs, leur langue gourmande, La mère aussi voulut sentir à son tour.

— Où que t’as eu ça ? demanda la vieille Barbe dont les yeux étincelèrent.

— Ça ne doit pas être de la mauvaise, répondit Hubert. J’ai rencontré le « Rat de Cave »[1] et il s’y connaît.

— Tu y as montré ta prise ? fit-elle étonnée.

— C’est lui qui m’a montré la sienne, répliqua Hubert. Je l’ai rencontré au coin de la rue Verte. Il longeait le mur sans demander son chemin à personne. Tu sais comment il marche le soir quand il rentre chez lui : il ne balance pas plus les pattes d’en haut que si elles étaient en bois et, plus d’une fois, je m’étais dit : « Ça n’est pas naturel : pourquoi qui colle les bras comme ça ? » J’ai été carrément à lui, je lui ai dit bonjour, bien poliment, et je lui ai secoué la main avec affection… ; mais il trouvait que je la lui secouais trop, et il m’a dit : « Pas si fort !… » Je lui ai aussitôt mis la main à l’aisselle ! Pétard ! il avait là sa bouteille… et puis de l’autre côté aussi ! Alors, je lui ai dit : « C’est du propre, monsieur l’Inspecteur ! C’est comme ça que vous surveillez les deniers de notre République ! Je parie que vous vous êtes laissé séduire par un réac ! Il n’y a qu’un ci-devant pour oser acheter la conscience d’un honnête homme comme vous, avec deux bouteilles de blanche ! J’en parlerai à notre député. » Il m’a lâché les deux bouteilles et m’en a promis deux

  1. Rat de cave, inspecteur chargé de surveiller la fabrication de l’alcool dans les pays de bouilleurs de crû. C’est lui qui descend dans les caves des particuliers pour y surveiller la production des alambics.