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Page:Leroux - Rouletabille chez Krupp, 1944.djvu/79

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ESSEN

compagnons de captivité dans le couloir avant d’entrer dans la chambre.

Ceux-ci arrivent et s’arrêtent à tour de rôle devant les portes qui leur sont désignées par le feldwebel. Le couloir est gardé aux deux extrémités. Sur un ordre tout le monde disparaît dans les chambres. Il y a une fenêtre par chambre. Le jour qui pénètre par là est des plus pauvres ; Rouletabille constate, en effet, que la cour au centre de laquelle s’élève sa caserne est ceinte de hauts bâtiments noirs.

Ce n’est pas encore par là qu’il apercevra quelque chose de l’édifice monstrueux dans les flancs duquel les Boches cachent la Titania !…

Depuis qu’il est à Essen, il ne songe qu’à elle ; mais en vain, à tous les angles de rues, sur toutes les places, au-dessus des murs, son regard a-t-il cherché quelque chose de la gigantesque bâtisse. Rien n’est venu lui rappeler la silhouette bizarre du monument fantastique dont a parlé Nourry.

Il se retourne et considère attentivement ce petit coin dans lequel il va vivre et se reposer entre les heures de travail. Il y a là dix lits de fer, peints en vert, bas et recouverts d’une limousine grise. Des lits ! Décidément, on les soigne, on les gâte ceux qui consentent à travailler chez Krupp.

Contre les murs, sept armoires étroites, des portraits, celui de l’Empereur et de l’Impératrice, celui des deux Krupp : le père, barbe blanche, nez fin, œil énergique, traits fermes et anguleux ; le fils, le dernier, gras, l’air indécis, sans volonté, triste et doux, le nez portant des lunettes. Entre les portraits, des pancartes où se lit l’éternelle inscription : Hüttet euch vor Espionen und Espioninnen !…

Ce conseil qui s’adressait autrefois aux ouvriers allemands et qui s’adresse maintenant à des prisonniers français, fait encore sourire le jeune homme.

Les lits se touchent presque. Comme ameublement, c’est