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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/170

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était, à la vérité, le seul bourreau de Jean, elle cria :

— Pitié pour cet homme !

Une protestation formidable en même temps que les poings d’Andréa lui fermèrent la bouche. Le cigain la poussa brutalement hors du degré et l’envoya rouler sur les dalles…

Alors le patriarche parla.

Il demanda à Jean :

— Nieras-tu avoir été complice de l’enlèvement de la queyra ?

Jean ne répondit pas, car il ne comprenait pas ; les paroles avaient été prononcées dans le langage sacré des cigains de Transbalkanie. Mais Andréa traduisit la phrase, et alors Jean répondit qu’il avait fait, en effet, tout son possible pour sauver sa fiancée des mains des voleurs, et il ajouta même que, s’il était libre, il recommencerait. On ne lui en demandait pas tant, c’était du luxe…

Les clameurs repartirent de plus belle. Il y eut une bousculade sérieuse, les gardiens eurent fort à faire…

Le patriarche leva la main et on l’écouta de nouveau :

— Songe, fit-il, que toi et les tiens avez commis contre ce peuple le plus grand crime qui se puisse imaginer !… et que si tu ne nous aides point à le réparer !… tu en supporteras tout le poids !…

— Je ne tiens pas à la vie !… répliqua Jean… mais pour votre gouverne, monsieur le patriarche, je vous avertis que je suis citoyen français et que vous aurez à répondre de ma mort !…

— Nous répondrons que ta mort a été un acte de justice !… Allons, réfléchis !… Écoute les menaces de ce peuple qui s’impatiente !… Nous retrouverons notre reine, où qu’elle aille, où qu’on la cache !… Son destin est écrit, mais le tien est en train de s’écrire… Veux-tu nous aider ?…

Jean haussa les épaules. Ce mouvement était une insulte à la majesté du prêtre et du lieu…

L’injure du roumi avait déchaîné à nouveau le tonnerre…

Aux cris de mort se mêlaient d’autres cris :

— Le supplice !… Le supplice !…

Les uns réclamaient qu’on le brûlât à petit feu, les autres qu’on lui coupât les membres d’abord et puis qu’on lui sciât la tête ; d’autres réclamaient qu’on le mît en croix !… Les gardiens se battaient avec la foule pour qu’elle n’envahît point l’enceinte sacrée… mais ils allaient être débordés…

Le patriarche, poussé par les vieillards effrayés, se hâta de prononcer la sentence :

Nous te condamnons à mourir de faim !…

Cette sentence fut généralement trouvée douce et il y eut bien des protestations, mais certains expliquaient qu’elle était très sage, car, outre qu’elle était fort douloureuse, elle donnait tout le temps à Jean de réfléchir et peut-être se déciderait-il à dire ou était la queyra !…

Quant au roumi, il fut entraîné aussitôt par les gardes dans les dessous du temple, dut traverser les couloirs, obscurs, étouffants, creusés dans le roc, qui conduisaient aux cachots du palais. Une porte grillée à mi-hauteur fut ouverte qui, sans doute, ne l’avait pas été depuis longtemps, car une bande de rongeurs qui apportaient dans cette tranquille retraite le fruit de leurs larcins s’enfuit en tumulte…

Ce réduit était hideux. Le grand Coesre y poussa Jean. C’est là que le pauvre jeune homme devait mourir…