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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/176

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Un autre :

— J’ai tenu sa mère dans mes bras quand elle n’était encore qu’une petite fille…

Mais la plus enragée était certainement Zina qui montrait d’un geste de folle sa poitrine décharnée qui avait nourri la queyra !…

— Et quand sa raya est morte, c’est moi qui ai été sa raya ! (sa mère)… Mais l’Étranger nous l’a volée !… Et moi, j’ai suivi l’Étranger !…

Tu as suivi l’Étranger, hurla Rouletabille, et pendant tant d’années, tu n’as rien dit ! alors que tu savais que les cigains, tes frères, cherchaient partout leur petite princesse ! Si tu avais su que celle-ci était vraiment la queyra, serais-tu restée muette ?…

À cet argument foudroyant, un silence prodigieux, seul, répondit. Tous les yeux étaient maintenant tournés vers Zina qui, haletante, se taisait… Et cependant elle savait que ce silence la condamnait. Elle cacha son front dans ses mains démentes et alors un menaçant murmure commença de monter vers elle…

« Je commence à avoir le bon bout ! se disait Rouletabille… Profitons-en ! En avant le bon bout de la raison, et frappons fort ! »

— Je vais te dire, moi, fit-il d’une voix qu’il essayait autant que possible de faire tonitruante, pourquoi tu t’es tue pendant tant d’années !… C’est que tu savais bien que cette enfant ne pouvait pas être la princesse attendue, car elle ne portait pas à l’épaule le signe annoncé, le signe promis par les Écritures… Mlle de Lavardens n’avait pas le signe de la couronne !…

Une immense plainte monta lugubrement sous les voûtes… Déjà le peuple désespérait :

— Elle n’a pas le signe ! Elle n’a pas le signe ! se murmurait-on avec douleur…

— Elle n’a pas le signe ! s’écria Callista, en s’interposant entre Rouletabille et Zina, dont elle redoutait la faiblesse, tu as dit qu’elle n’avait pas le signe !…

À ce moment, une petite voix douce, une voix d’or qui semblait sortir d’une bouche d’ivoire, se fit entendre. Encore une fois, l’icône s’animait, Odette se dressait… Elle ne retomba pas… Elle vint vers le vieillard d’un pas de somnambule… et sa petite voix prononça :

— Un signe ?… Mais je n’ai pas de signe !…

Alors on vit Callista se précipiter vers cette enfant comme une furie, et arracher d’un geste farouche le léger pan d’étoffe qui flottait sur son épaule…

— Voyez ! s’écria-t-elle, voyez si elle n’a pas le signe de la couronne !…

Le seul qui n’avait pas été trop ému par ce dernier incident était, contrairement à ce que l’on aurait pu croire le patriarche lui-même, car avant de faire asseoir Odette sur la chaise royale, il avait pris la précaution de constater rapidement par lui-même, qu’elle avait bien la marque sacrée… Dans sa pensée, il ne devait montrer celle-ci au peuple qu’au moment de la grande solennité du couronnement, mais les événements le dépassaient, et maintenant il voyait bien qu’il fallait faire, tout de suite, le peuple juge de l’imposture…

— Elle a le signe, proclama-t-il, peuple réjouis-toi, elle a le signe !

Alors on se rua… Cette marque sainte, chacun voulait la voir. Ce sceau de l’alliance avec la divinité, tous voulaient le toucher et aussi voir la preuve que ce signe n’était point lui-même un mensonge !… que ce n’était ni un tatouage, ni une habile falsification, mais bien le signe le plus naturel du monde qui ne fait qu’un avec la chair et qui est né avec la chair !…

Alors quand on eut constaté l’imposture, on se retourna vers l’imposteur, mais il avait disparu…