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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/179

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Zina la prit par la main et Odette se laissa conduire docilement dans d’obscurs couloirs dont bien peu, parmi les initiés aux mystères du palais, connaissent les détours… Elle dut se courber, descendre et remonter bien des degrés et redescendre au sein de la terre pour longer les assises monstrueuses du temple, pierres datant des antiques Pélasges sur lesquelles des civilisations disparues depuis des millénaires avaient dressé leurs premiers autels… Ainsi Zina et Odette arrivèrent-elles aux cachots des condamnés à mort qui étaient grillés comme des cages… Devant l’une de ces cages, Andréa veillait…


III. — Le baiser dans la tombe

Jusque-là, Odette avait été brave, mais sa bravoure, au fond, n’était que de la joie : elle allait revoir Jean !… C’était une pensée à lui faire traverser l’enfer, le sourire aux lèvres. Mais sans doute ne s’était-elle point imaginé l’enfer comme cela, avec ces caveaux au fond desquels on voyait ramper des larves humaines… ou plutôt des spectres qui se soulevaient à demi pour voir passer des vivants dans une sorte de lumière soufrée qui semblait monter du sein vertigineux de la terre, par des crevasses dont personne n’avait peut-être jamais sondé le fond… Cette terre volcanique empestait comme une solfatare !… La lumière du ciel vient d’en haut, celle de l’enfer vient d’en bas…

Le malheur, pour ceux qui traînaient leurs vagues apparences derrière ces grilles, était que l’on ne mourait pas de ces fumées diaboliques… Non ! ici, on mourait de faim !…

Quelques ombres squelettiques étaient accrochées aux barreaux comme si elles avaient terminé leur supplice dans un dernier spasme qui montrait leurs dents. Zina avait jeté un voile sur la tête d’Odette et l’entraînait de plus en plus vite, mais ce n’était pas dans le moment où la petite reine espérait voir Jean qu’elle allait consentir à ce qu’on lui fermât les yeux…

Elle arracha son bandeau, elle vit et poussa un cri d’horreur ! Elle aperçut presque aussitôt Andréa… Il semblait le gardien tout-puissant de cet enfer… L’horreur d’Odette devint de l’épouvante…

Zina la recueillit sur sa poitrine et l’enferma dans ses bras, tandis qu’Andréa s’avançait d’un pas menaçant et demandait à la vieille, de sa voix terrible :

— Que viens-tu faire ici avec la queyra ?

— Je viens te demander de lui ouvrir la porte de l’in pace où l’on a enfermé le roumi, lui répondit sans s’émouvoir la zingara.

— Tu es folle, Zina ! ricana l’autre sinistrement, mais tout de même un peu interloqué. Et quel est ton but en me demandant cela ?

— Je voudrais qu’elle l’embrasse avant qu’il ait rendu l’esprit. C’est une charité à leur faire à tous les deux et sainte Sarah serait contente !…

Cette fois, Andréa éclata de rire… Mais Zina se pencha à son oreille et lui souffla quelques mots…

Alors Andréa ne rit plus ; non, il se prit à sourire, et ce sourire était plus affreux que tout !… Le cigain sortit de sa ceinture un trousseau de clefs, en désigna une à Zina, la lui mit dans la main et s’éloigna hâtivement…

Quand elle n’entendit plus ses pas, la vieille dit à Odette :

— N’aie plus peur ! Il est parti !…

Et elle la porta plutôt qu’elle ne la conduisit jusqu’au cachot de Jean…