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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/193

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plus de relations internationales possibles !… Le commerce serait arrêté !

— La vente du champagne suspendue…

— Hélas ! monsieur, à qui le dites-vous !… La politique a déjà failli me ruiner !… Si l’on n’avait pas retrouvé la reine !

Rouletabille se leva et fit un mouvement pour sortir… Tournesol le rattrapa.

— Mais ne partez donc pas comme ça !… Je vous assure que si je puis vous être utile…

— Vous ne le pouvez pas, monsieur… En sortant de chez le consul de Valachie, j’ai demandé à l’hôtel s’il n’y avait pas ici un Français… On m’a répondu : « Oui, il y en a un ! M. Tournesol ! » Eh bien, monsieur, on s’est trompé, il n’y a pas ici un Français, il y a un commis voyageur international… Comme je n’ai rien à vous acheter, je m’en vais !… adieu, monsieur Nicolas Tournesol !…

— Monsieur Rouletabille ! s’écria le commis voyageur, bouleversé déjà par le remords, car, au fond, sous ses dehors un peu cyniques, M. Tournesol avait le meilleur cœur du monde… je vous en conjure ne me quittez pas ainsi !… Oui ! ce qui se prépare est abominable ! et je veux être votre ami… et je veux vous aider, quelque désastre qu’il puisse en résulter pour moi !… que faut-il faire ?…

Rouletabille se retourna et lui serra la main.

— Vous êtes un brave homme ! lui dit-il et je n’hésite pas à me confier à vous. Je comprends votre situation ! Il se trouve, sans que vous ayez rien fait pour cela, que vos intérêts sont immédiatement opposés aux nôtres !…

— Ne me parlez plus de mes intérêts, monsieur… j’ai honte de m’en être souvenu alors qu’il s’agit de sauver deux malheureux jeunes gens… deux Français… Foi de Nicolas Tournesol, je suis votre homme !…

— Monsieur, je me confie entièrement à vous. Il y a ici, n’est-ce pas, une Mme de Meyrens ?

— Charmante, monsieur !… Une femme exquise !… avec qui je suis assez bien, du reste… et avec laquelle je ne désespère pas… Enfin, monsieur, je ne veux pas être indiscret… mais un Parisien m’excusera… je ne vous cacherai pas que si vous me voyez attentif à ma toilette (et ce disant, M. Nicolas Tournesol, en rougissant légèrement, versait une eau embaumée sur son mouchoir)…

— Eh bien, monsieur Nicolas Tournesol, Mme de Meyrens est ma pire ennemie !…

— Diable !… Ah ! voilà qui est tout à fait fâcheux, par exemple !

— Si vous connaissiez mieux cette dame, continua Rouletabille, vous vous seriez déjà demandé ce qu’elle peut bien être venue faire à Sever-Turn…

— Mon Dieu, monsieur Rouletabille, je ne suis point si curieux, et pourvu qu’une femme soit charmante et veuille bien se le laisser dire…

— Je vous comprends ! je vous comprends !… Mais comme je sais, moi, qu’elle est venue ici pour ma perte et pour celle de mes amis, vous comprendrez à votre tour que j’envisage l’événement sous un autre aspect… Ne soyez donc point jaloux, monsieur Tournesol, si j’ose vous demander de m’indiquer l’appartement qu’habite cette charmante personne et si je pénètre chez elle pour une explication que j’espère définitive…

— Monsieur, répliqua le commis voyageur avec une bonne grâce un peu triste, car enfin Rouletabille venait déranger bien des choses… si vous n’avez eu qu’à pousser ma porte pour entrer ici, c’est qu’elle n’était qu’entrouverte, et si elle était entrouverte, c’est que, tout en me faisant la barbe, je surveillais la porte même de Mme de Meyrens… C’est la seconde dans le corridor, en face…

— Merci, monsieur, fit Rouletabille… Quoi que vous entendiez, je vous prie de ne point intervenir !…

— Oh ! monsieur, je n’entendrai rien du tout ! Je vais descendre immédiatement, car je serais au désespoir de vous déranger… Je vous demanderai seulement de ne point dire à cette dame qui, je vous le répète, a été charmante pour moi, que c’est moi qui vous ai indiqué son appartement… Mais, au fait, monsieur, je ne pense point que c’est uniquement pour avoir un renseigne-