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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/95

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— Elle n’a pas eu besoin de me le dire, puisque c’est moi qui l’envoyais, c’est moi qui lui avais donné cette idée ! c’est moi qui lui avais donné cette feuille !…

— Je ne sais alors quel pouvait être ton but, mais ce que tu ignores certainement, c’est qu’aussitôt en présence du directeur, du juge d’instruction et de son greffier qui se trouvaient là, elle a dévoilé tout de suite le truc que tu lui avais indiqué… qu’elle a déclaré qu’elle n’était pas anthropologiste le moins du monde, mais envoyée par la Sûreté générale pour « cuisiner » les bohémiens prisonniers… Ce que tu ignores, c’est qu’elle s’est fait introduire ainsi dans la cellule de Callista et qu’elle a laissé à celle-ci une lime et des vêtements de maçon !

— Après ? fit Rouletabille qui fixait maintenant Jean d’un étrange regard…

— Tu sais ou tu ne sais pas que l’on fait en ce moment des travaux à la prison. Elle avait dû certainement acheter la complicité de l’un de ces ouvriers qui est sorti ce matin, traînant un charreton…

— Non ! interrompit Rouletabille d’une voix dure… Elle n’avait pas acheté cet ouvrier.

— Tu me permettras d’en douter !… car, pendant que tu dormais, ou que tu réfléchissais peut-être encore, Mme de Meyrens est allée prendre une auto ce matin dans un garage et s’est embusquée à quelques centaines de mètres de la prison… et quand l’ouvrier est passé à côté d’elle, elle a eu avec lui une conversation des plus animées…

— Non ! fit la voix de plus en plus dure de Rouletabille… elle n’avait pas acheté cet ouvrier… c’est moi qui l’avais acheté !

— Toi !

— Oui, moi !… Elle, elle agissait dans la prison, sur mes indications, et moi, pendant ce temps, je prenais toutes mes dispositions au dehors.

— Pour quoi ? s’écria Jean, suffoqué…

— Pas si fort ! mon garçon ! lui souffla Rouletabille en le faisant se rasseoir d’autorité, je vais te le dire, pourquoi, puisque tu n’es pas assez fort pour l’avoir deviné !… Mais prends ton café au lait en douce et imite mon calme, qui n’est qu’apparent, je te le jure !… Je l’ai toujours dit que nous n’aurions Odette que par Callista… C’est pour la faire parler que je l’ai fait arrêter, elle et Andréa…

— Je n’ai pas oublié que ton intervention m’a sauvé !…

— Tu n’aurais pas été en danger que je les aurais fait coffrer tout de même, inutile de me remercier !… Nous ne sommes pas en train de nous faire des compliments et je ne te cache pas que je crains quelque affreuse bévue de ta part !… Mais d’abord suis mon raisonnement !… Avec l’assassinat de M. de Lavardens, j’espérais la faire canner… quand j’ai été sûr que ni elle ni Andréa ne diraient rien, j’ai dû changer de tactique du tout au tout !… Je les avais fait coffrer, je résolus de les faire évader !… car nous avons quatre-vingt-dix-neuf chances sur cent qu’une fois évadés, ils aillent rejoindre Odette ! surtout en leur faisant dire par la Pieuvre que nous étions déjà sur sa piste !… alors nous les suivons !… Je me suis arrangé pour qu’on ne les rattrape pas !… et nous arriverons ensemble au but poursuivi !… Mais qu’est-ce que tu as ? tu ne vas pas te trouver mal ?…

— Rouletabille ! murmura Jean dans un souffle… Rouletabille, j’ai fait encore une bêtise !…

— Ah ! je m’en doutais !… qu’est-ce que tu as fait, malheureux ?