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Page:Leroux - Sur mon chemin.djvu/324

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SUR MON CHEMIN

des gens qui font métier de prendre du poisson sur les quais de Paris, et ils sont fort experts, ramenant brèmes et barbillons que c’est plaisir de les voir. Ceux-là, vous dis-je, ne sont point des pécheurs. Ils aiment le poisson, dont ils font peut-être commerce, mais ignoreront toute leur vie les délices de la pêche. Ce n’est point être à la pêche que de tremper du fil dans de l’eau sale, entre un bateau-mouche, un ponton où l’on distribue des tickets et une école de natation, sur des rives de pierres de taille. Être à la pêche comporte un cadre de verdure, et de bois, et de plaines, et d’eau riante entre les joncs et les roseaux, cependant que votre fil glisse silencieusement parmi les cœurs verts et innombrables des nénuphars. Vous êtes pêcheur si vous avez l’amour de ces choses, si vous vous plaisez dans la solitude et dans la paix de la nature, et si vous êtes légèrement enclin à la paresse. Aussi ai-je raison de dire qu’on naît pêcheur, qu’on ne le devient point, et que cela n’a pas affaire avec le plus ou moins de poisson que vous rapportez dans votre boutique. Ces résultats sont indépendants de votre volonté, et ce n’est point ma faute si l’eau est trop claire, si les bateaux et les trains de bois viennent de passer l’écluse, bouleversant la gent aquatique, si les brochets chassent, si nous traversons une saison où le poisson se nourrit d’herbes, s’il y a trop de vent, ou encore — ce qui, justement, m’est arrivé hier — si le vent vient du Nord.