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Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/12

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coup plus d’ombres. Or, la science qui ne doit pas rester immobile, qui tend toujours à progresser, doit se consacrer principalement à l’étude des questions qui, tout en étant importantes, ont été jusque-là le plus négligées. Voilà la première considération qui a frappé mon esprit.

Une seconde est venue se joindre à celle-là. On a souvent et vivement reproché aux économistes de ne s’occuper que de la production et de la circulation, non de la répartition des richesses, de renfermer toute leur science dans quelques formules simples et abstraites, de la faire tenir presque tout entière dans deux principes, celui de la liberté du travail et celui de la liberté des échanges, sans se préoccuper le moins du monde des effets que ces deux libertés illimitées peuvent avoir sur le sort du plus grand nombre, des perturbations que parfois elles peuvent entraîner.

La moquerie sur ce point s’est jointe à la critique. Pour n’en citer qu’un exemple, un des chefs du socialisme allemand, celui qui en est l’apôtre, Lassalle, tandis que Karl Marx en est le docteur, disait un jour avec plus d’esprit que d’exactitude : « Voulez-vous savoir ce qu’est l’économie politique ; prenez un sansonnet, faites-lui répéter à l’infini ce seul mot : Échange, Échange, et vous avez un économiste. » On eût pu répondre avec plus de raison à cette boutade « Voulez-vous savoir ce qu’est le socialisme ; prenez un sansonnet, faites-lui répéter à l’infini ce mot : Solidarité, Solidarité, et vous avez un socialiste. » Mais les réponses de ce genre n’ont qu’une portée négative, et, en prouvant que l’adversaire a des torts, elles ne démontrent pas qu’on en soit exempt soi-même.

Quelle que soit l’injustice ou l’exagération de ces reproches que l’on adresse à l’économie politique, il en est resté dans l’opinion de beaucoup de personnes une certaine défaveur contre cette science que l’on suppose une science étrangère aux faits, une métaphysique creuse, une phraséologie vide et que l’on accuse aussi d’être une science sans entrailles, pour employer une locution vulgaire. Parmi les hommes d’étude, les hommes d’affaires et les hommes du monde, il n’en est que