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Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/171

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On a peine à comprendre aujourd’hui les préjugés qui régnaient à cette époque et les anxiétés qu’ils causaient. C’était une croyance presque générale alors que la division de la propriété, allant toujours croissant, émiettait le sol, le pulvérisait, le rendait infécond. On redoutait plus encore ces maux dans l’avenir qu’on ne les constatait dans le présent. Les petits propriétaires qui se partageaient chaque jour les restants des grands domaines n’auraient pas assez de surplus de produit, au delà de leur propre consommation domestique, pour permettre à l’industrie de se développer, aux classes libérales de vivre. Le niveau de la société allait donc considérablement s’abaisser non seulement le niveau de la richesse ou, du moins, de l’aisance, mais, par une conséquence nécessaire, le niveau intellectuel même.

Sous l’impression de ce cauchemar qui était alors presque universel on proposait des mesures législatives artificielles pour obvier à tant de maux ; on hésitait à les voter, il est vrai mais c’était, déjà beaucoup que de les discuter entre gens sérieux. Les plus fortes têtes, d’ailleurs, si ce n’est le nombre, inclinaient vers ces moyens on prônait beaucoup alors le rétablissement du droit d’aînesse, ou tout au moins la liberté absolue de tester qui porterait la plupart des pères de famille à faire un héritier pour ne pas diviser leur avoir. Quelques esprits plus audacieux et plus zélés allaient beaucoup plus loin. Un député demandait que l’on partageât la France en 400,000 fermes de cent hectares chacune, ce qui eût fait en moyenne environ un millier de fermes par arrondissement et une dizaine par commune.

Ce n’était pas la première fois que surgissaient ces alarmes à l’occasion du morcellement des propriétés, et ce n’eût pas été non plus la première fois qu’elles eussent laissé une trace dans la législation. Dans certains États d’Allemagne on avait interdit le fractionnement au delà d’une certaine limite. Ainsi le gouvernement bavarois défendit de fractionner les terres dont l’impôt n’excèderait pas 45 kreutzers (1 fr. 55) ; dans le duché de Nassau on prohiba le fractionnement des terres labourables dont la