Aller au contenu

Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/270

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se morcellent ou disparaissent par les partages successoraux, par les imprudences et les prodigalités. Malgré tous les arguments que l’on invoque en faveur de l’hérédité naturelle des qualités intellectuelles et morales, il n’est pas dans la nature des choses que la capacité des affaires, la sagacité, la prévoyance, l’ordre et l’économie se maintiennent dans une même famille pendant une longue série de générations.

Alors même qu’il en serait ainsi par exception, il ne faut pas oublier que dans la constitution de toute grande fortune entre un élément extérieur à l’homme, un hasard heureux, et que cette même force aveugle, incontrôlable, le hasard, l’accident, ce que l’on appelle les fautes ou les erreurs, ne peut pas ne pas se présenter à travers les générations pour porter un coup aux fortunes d’ancienne date.

Dans le monde mobile où nous vivons, au milieu de l’agitation industrielle, commerciale, financière, une grande fortune a tant d’ennemis, est battue par tant de flots les passions de celui qui la possède, ses illusions, ses imprudences, les variations des cours des valeurs, les mécomptes des placements, que c’est une merveille si pendant cinq ou six générations elle résiste, sans s’amoindrir, à tous ces assauts. C’est un des dictons de la vulgaire sagesse qu’il est presque aussi difficile de conserver une grande fortune que de l’édifier. Partout, en effet, où les lois n’interviennent pas avec le droit d’aînesse, les substitutions, les majorats, pour maintenir l’inégalité des conditions et pour protéger, contre les accidents, les fortunes déjà acquises, on les voit peu à peu se démembrer ou s’émietter.

Tel doit être particulièrement le cas dans une société démocratique. Car si les grandes fortunes se détruisent, la baisse du taux de l’intérêt permet plus difficilement à de nouvelles fortunes de se constituer. Il se forme moins de fortunes nouvelles parce qu’au lieu de dix années d’épargne pour arriver à. vivre de son revenu, il en faut quinze, les cent mille francs qui produisaient une certaine aisance alors que l’intérêt était à 5 p. 100 ne procurant que les trois cinquièmes de cet avantage alors que l’intérêt est tombé à 3 p. 100. Il n’est pas téméraire de dire que,